Arrêté de péril et bail commercial : quelles conséquences sur l’obligation de payer les loyers ?
La sécurité des immeubles est une préoccupation majeure pour les pouvoirs publics, notamment lorsque des arrêtés de péril grave et imminent sont pris. Mais que se passe-t-il lorsqu’un tel arrêté vise un local commercial loué ? Le locataire peut-il suspendre le paiement de ses loyers jusqu’à la réalisation des travaux prescrits ?
Un arrêt de la Cour de cassation du 25 juillet 2025 apporte des éclaircissements, en rappelant les limites de l’application de l’article L. 521-2 du Code de la construction et de l’habitation (CCH).
Le contexte : un arrêté de péril sur un immeuble loué commercialement
Dans cette affaire, des bailleurs avaient consenti un nouveau bail commercial à une locataire sur un immeuble déjà fragilisé. Peu après, la mairie a pris un arrêté de péril grave et imminent, imposant aux propriétaires de réaliser des mesures urgentes :
Maintien des ouvertures menaçant ruine ;
Installation d’un tunnel de protection des piétons.
La locataire, estimant que l’arrêté affectait la jouissance paisible de son local, a assigné les bailleurs en référé pour :
Obtenir la restitution des loyers déjà versés depuis l’arrêté ;
Obtenir la suspension de son obligation de payer les loyers jusqu’à l’exécution des travaux.
Le fondement juridique invoqué : l’article L. 521-2 CCH
L’article L. 521-2, I du Code de la construction et de l’habitation prévoit que, lorsqu’un arrêté de mise en sécurité est pris sur un logement, le paiement du loyer cesse d’être exigible à compter du premier jour du mois suivant la notification ou l’affichage de l’arrêté, et ce jusqu’à la mainlevée officielle.
Ce texte, issu de l’ordonnance du 16 septembre 2020, a un objectif clair : protéger les occupants de logements insalubres ou dangereux, en évitant qu’ils continuent à payer pour un bien impropre à l’habitation.
La décision contestée : une assimilation aux baux commerciaux
La cour d’appel saisie avait estimé que ces dispositions pouvaient s’appliquer par analogie aux baux commerciaux. Elle avait donc considéré que la locataire se trouvait automatiquement dispensée du paiement des loyers à compter du mois suivant l’arrêté.
La position de la Cour de cassation (25 juillet 2025)
La Cour de cassation casse cette décision :
Elle rappelle que l’article L. 521-2 CCH vise uniquement l’occupation de logements, et non celle de locaux commerciaux ;
En conséquence, la suspension automatique des loyers prévue par ce texte ne s’applique pas aux baux commerciaux.
Autrement dit, un locataire commercial ne peut pas invoquer ce fondement pour suspendre de plein droit le paiement de ses loyers.
Quelles solutions pour le locataire en cas de péril ?
Même si le texte du CCH ne s’applique pas, le locataire commercial dispose d’autres leviers juridiques.
1. La garantie de jouissance paisible
Aux termes de l’article 1719 du Code civil, le bailleur est tenu d’assurer au locataire la jouissance paisible des lieux. Si l’arrêté de péril prive le locataire d’une exploitation normale, il peut demander :
Une réduction proportionnelle du loyer ;
Ou, en cas d’impossibilité d’utiliser les lieux, la suspension totale du loyer.
2. La force majeure ou l’imprévision
Le locataire peut invoquer la force majeure (article 1218 du Code civil) si l’arrêté de péril rend impossible toute exploitation. Depuis l’ordonnance de 2016, il peut aussi recourir à la théorie de l’imprévision (article 1195 du Code civil) pour renégocier le bail en cas de bouleversement imprévisible de l’équilibre contractuel.
3. Le référé-provision ou l’action judiciaire
Le locataire peut saisir le juge des référés pour demander une suspension judiciaire des loyers, ou leur restitution, s’il démontre que l’immeuble est inutilisable et que le bailleur manque à son obligation de délivrance.
Les obligations du bailleur face à un arrêté de péril
Lorsqu’un arrêté de péril est pris, le bailleur doit :
Réaliser sans délai les travaux prescrits ;
Informer le locataire de la situation et du calendrier ;
Assurer des mesures provisoires de protection (sécurité des accès, signalisation, protection des tiers).
À défaut, il engage sa responsabilité civile pour manquement à son obligation de délivrance et de sécurité. Dans certains cas, sa responsabilité pénale peut être recherchée.
Une question encore ouverte : suspension automatique ou suspension judiciaire ?
L’arrêt du 25 juillet 2025 rappelle que la suspension automatique des loyers ne s’applique pas aux baux commerciaux. Toutefois, cela ne signifie pas que le locataire est condamné à payer sans discussion.
La suspension peut être décidée par le juge, mais elle doit alors résulter d’une appréciation des circonstances (perte totale ou partielle de jouissance, délai des travaux, impact économique pour le commerçant).
Conséquences pratiques pour les acteurs de l’immobilier commercial
Pour les bailleurs
Anticiper les risques en assurant un suivi technique régulier de leurs immeubles ;
Prévoir des clauses spécifiques dans les baux (ex. : suspension partielle des loyers en cas de travaux de mise en sécurité) ;
Communiquer avec les locataires pour éviter les contentieux.
Pour les locataires
Vérifier l’état de l’immeuble avant signature du bail ;
Conserver les preuves d’inexploitation en cas de péril ;
Se rapprocher d’un conseil pour négocier une réduction ou une suspension judiciaire du loyer.
Conclusion
L’arrêt de la Cour de cassation du 25 juillet 2025 confirme une distinction nette : l’arrêté de péril n’entraîne pas automatiquement la suspension des loyers d’un bail commercial, contrairement à ce qui est prévu pour les logements. Toutefois, les locataires disposent encore de recours juridiques pour obtenir une adaptation de leurs obligations.
La vigilance contractuelle et le dialogue entre bailleurs et preneurs restent essentiels pour sécuriser l’exploitation commerciale dans un contexte de fragilité immobilière.
Vous êtes bailleur ou commerçant confronté à une situation de péril sur un local loué ?
La Parisienne du Commerce vous accompagne pour analyser vos droits et obligations, sécuriser vos contrats et trouver des solutions adaptées à vos enjeux immobiliers. Contactez nos experts pour un diagnostic personnalisé.