Location‑gérance : fonctionnement, cadre juridique et recommandations

La location‑gérance, parfois appelée « gérance libre », est un dispositif juridique souvent utilisé pour confier l’exploitation d’un fonds de commerce à un tiers sans lui transférer la propriété du fonds. Ce mécanisme présente des atouts pour le cédant comme pour le locataire‑gérant, mais exige un formalisme strict et une vigilance particulière. Cet article détaille les fondements juridiques, les conditions à respecter, les enjeux actuels et les conseils pratiques pour bien utiliser la location‑gérance.

Fondements juridiques et évolutions récentes

Définition légale et dispositions applicables

La location‑gérance est définie par les articles L. 144‑1 et suivants du Code de commerce, qui encadrent le contrat selon lequel le propriétaire ou l’exploitant d’un fonds de commerce confie à un locataire‑gérant le droit d’exploiter ce fonds à ses risques et périls, en contrepartie du paiement d’une redevance. Le contrat porte non sur les seuls locaux mais sur l’ensemble des éléments du fonds (clientèle, matériel, licences, droit au bail, etc.).

Autrefois, une condition d’exploitation minimale de deux ans par le propriétaire était requise avant de mettre en location‑gérance. Ce n’est plus le cas depuis la loi du 19 juillet 2019, qui a supprimé cette condition d’exploitation préalable.

Responsabilités, publicité et solidarité des dettes

Le contrat de location‑gérance doit être porté à la connaissance du public via une publicité légale dans les 15 jours suivant sa signature, sous peine de sanctions. Jusqu’à cette publication, le propriétaire (loueur) et le locataire‑gérant sont solidaires des dettes contractées par le gérant dans l’exploitation du fonds. En outre, pendant six mois suivant la publication, cette solidarité demeure pour les dettes liées à l’exploitation.

À la fin du contrat, les dettes contractées par le locataire‑gérant pendant la période de gérance deviennent immédiatement exigibles.

Il est important de noter que si le contrat ne respecte pas les conditions légales, il peut être déclaré nul, ce qui prive les parties des droits liés aux dispositions du chapitre applicable aux baux commerciaux.

Autorisations et clauses contractuelles

Si le propriétaire du fonds n’est qu’un preneur de locaux (c’est-à-dire qu’il ne détient pas les murs), il doit s’assurer que le bail commercial comporte une clause autorisant la location‑gérance du fonds. Sinon, il doit obtenir l’accord du bailleur des locaux.

Le contrat doit prévoir des éléments précis : identité des parties, description du fonds, redevance (fixe ou proportionnelle, révisable ou non), durée, conditions de résiliation, obligations de chaque partie, clauses de non‑concurrence éventuelles, etc.

Il est fréquent d’intégrer une option d’achat ou une promesse unilatérale de vente pour permettre au locataire‑gérant d’acquérir le fonds à terme, mais cette clause doit être soigneusement rédigée pour éviter une requalification en cession déguisée.

Avantages, risques et enjeux actuels

Avantages pour le bailleur et le locataire‑gérant

Pour le bailleur, la location‑gérance permet de continuer à percevoir une redevance sans exercer l’activité lui-même. Cela peut être pertinent lorsqu’il veut se désengager progressivement, préparer une transmission ou assurer une rentabilité en gardant la propriété du fonds.

Pour le locataire‑gérant, c’est une façon de tester l’activité sans supporter dès le départ l’investissement complet dans l’acquisition du fonds. Cela réduit le besoin de capitaux initiaux et permet de bâtir une expérience de gestion avant d’éventuellement acheter le fonds.

Principaux risques et limites

Le bailleur court le risque qu’une mauvaise gestion du locataire‑gérant détériore la valeur du fonds, sans que celui-ci n’ait droit à une indemnisation en fin de contrat. De même, s’il y a revalorisation du fonds par le locataire, il n’est pas tenu de le lui céder sans clause spécifique.

L’absence de droit au renouvellement automatique du contrat est un point critique : le locataire‑gérant ne peut pas prétendre à une indemnisation à la fin du contrat s’il n’est pas reconduit. La résiliation unilatérale doit respecter le préavis défini dans le contrat, ou à défaut les usages (souvent trois mois).

Le risque fiscal est non négligeable : si la redevance est trop élevée ou qu’une promesse d’achat est trop intégrée, l’administration fiscale peut requalifier l’opération en cession déguisée.

La solidarité entre le bailleur et le locataire‑gérant vis‑à‑vis des dettes contractées pendant la période de publication est aussi une exposition importante pour le bailleur.

Enfin, le bailleur devra, à l’issue du contrat, reprendre les salariés liés au fonds de commerce si l’activité est maintenue. (application de l’article L. 1224‑1 du Code du travail)

Cas récents et enjeux dans la pratique

Un exemple récent met en lumière les débats autour de la location‑gérance : le groupe Carrefour prévoit de transférer 39 magasins en location‑gérance, ce que certains syndicats contestent comme une tentative de se libérer des charges sociales et salariales, dénonçant une externalisation déguisée et une perte de droits pour les salariés. Cette affaire illustre la tension entre la liberté contractuelle, l’impact social et le contrôle juridique du dispositif.

Dans un contexte immobilier et commercial en mutation (digitalisation, baisse de fréquentation physique, tensions locatives), la location‑gérance peut apparaître comme un levier pour maintenir l’exploitation tout en répartissant les risques entre parties.

Recommandations pratiques pour réussir une location‑gérance

Pour le propriétaire du fonds

Avant tout, faire un état des lieux qualitatif et quantitatif rigoureux du fonds (clientèle, matériels, diagnostics, situation juridique). Insérer des clauses de contrôle comptable, d’audit périodique, d’indicateurs de performance, voire de révision de redevance selon le chiffre d’affaires. Si vous envisagez une option d’achat, veillez à ce que le mécanisme soit transparent, justifié économiquement, et ne prête pas à requalification fiscale.

Vérifiez le bail commercial des murs pour vous assurer que la location‑gérance est autorisée, ou obtenez l’accord du propriétaire des locaux si nécessaire. En cas de transfert de salariés, anticipez les obligations en termes de reprise des contrats. Prévoir dans le contrat la publicité légale dans les délais, avec les mentions nécessaires à la sécurité juridique du contrat et des créanciers.

Pour le locataire‑gérant

Vérifiez votre capacité juridique et financière, assurez-vous de votre immatriculation au RCS ou au répertoire des métiers (selon la nature du fonds). N’acceptez pas une redevance trop élevée sans lien réaliste avec l’activité. Négociez des clauses de révision, de sous‑condition par rapport au chiffre d’affaires, et exigez une transparence sur les comptes antérieurs si possible.

Si une option d’achat est prévue, analysez bien le mode de calcul, les échéances, et les conséquences fiscales. Limitez votre engagement à la période de gérance et soyez vigilant à votre responsabilité propre dans l’exploitation (entretien, normes, conformité). Si le contrat est à durée indéterminée, veillez à ce que les modalités de résiliation (préavis, motifs) soient explicitement mentionnées.

Pour l’agence / le conseil immobilier

Lorsque vous accompagnez vos clients dans une location‑gérance, proposez des modèles de contrats équilibrés, adaptés aux secteurs d’activité, et soulignez les clauses critiques (audit, contrôle, révision, non-concurrence, option d’achat). Mettez en avant les projections financières (scénarios de redevance, variation de chiffre d’affaires) pour évaluer la rentabilité du montage. Surveillez les évolutions législatives, fiscales et jurisprudentielles, notamment les requalifications et contentieux comme celui de Carrefour, pour anticiper les enjeux légaux et réputationnels.

Conclusion

La location‑gérance est un outil intéressant dans l’immobilier commercial pour permettre à un propriétaire de fonds de commerce de confier l’exploitation à un tiers sans céder immédiatement son actif, tout en générant des revenus. Toutefois, ce mécanisme comporte des risques – fiscaux, contractuels, de gestion – qui imposent un formalisme strict, une rédaction prudente du contrat et une vigilance constante. Dans le contexte actuel où les commerces doivent s’adapter rapidement, la location‑gérance peut être un compromis utile, mais elle doit être accompagnée d’un conseil professionnel solide.

Vous souhaitez mettre en place une location‑gérance, négocier une option d’achat ou sécuriser votre contrat ? L’agence La Parisienne du Commerce vous propose un accompagnement personnalisé, de la rédaction du bail à l’évaluation du fonds, pour protéger vos intérêts et assurer la réussite de votre projet. Contactez-nous dès maintenant pour une étude sur mesure.

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