Requalification d’un bail dérogatoire en bail commercial : ce que change l’arrêt du 19 juin 2025

Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 19 juin 2025 (3ᵉ chambre civile, n° 24‑22.125) s’est penché sur la question : l’action en requalification d’un bail dérogatoire en bail commercial est-elle soumise à un délai de prescription ? Le cas portait sur une relation engagée dès 2006, à l’expiration d’un bail dérogatoire, lorsque le locataire est resté dans les lieux. Cette décision confirme un principe fondamental issu de l’article L.145‑5 du Code de commerce, selon lequel le maintien dans les lieux après un bail dérogatoire permet la transformation automatique du contrat en bail commercial. L'intérêt de l’arrêt réside dans le fait que cette action ne peut être limitée dans le temps par la prescription pourvu que le requérant demande la constatation de ce bail statutaire. Nous allons examiner ce que cela signifie concrètement pour les locataires comme pour les bailleurs, et comment agir dans ce cadre.

Contexte légal et faits de l’arrêt

Le cadre du bail dérogatoire et de la requalification

Le bail dérogatoire permet au bailleur et au locataire de convenir d’une durée courte (avant la loi de 2014, deux ans ; depuis, jusqu’à trois ans) afin de déroger aux règles du bail commercial. Lorsque ce bail prend fin, si le locataire reste dans les lieux sans être expulsé ou contesté par le bailleur, la loi prévoit qu’un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux naît automatiquement, sans qu’il soit nécessaire de signer un nouvel acte. C’est ce que dispose l’article L.145‑5 du Code de commerce. Cette requalification automatique dépend donc du fait que le locataire est maintenu dans les lieux sans opposition formelle.

HLes faits spécifiques de l’affaire jugée le 19 juin 2025

Dans l’affaire en question, les relations entre bailleur et locataire ont débuté en 2006 sous un bail qualifié de dérogatoire de courte durée. À l’échéance, le locataire est resté dans les lieux, le bailleur continuant à délivrer des quittances de loyer jusque fin 2016, puis facturant des indemnités d’occupation ensuite. En 2017, le locataire saisit le juge pour faire constater que, selon la loi, un bail commercial statutaire était en place du fait de ce maintien dans les lieux après le bail dérogatoire.

Prescription or non‑prescription : ce que décide la Cour

L’absence de prescription pour l’action de constatation

La Cour de cassation rappelle que l’action visant à faire constater l’existence d’un bail commercial statutaire née du maintien dans les lieux après un bail dérogatoire n’est pas soumise au délai de prescription prévu par l’article L.145‑60 du Code de commerce. En d’autres termes, même si des années se sont écoulées depuis la fin du bail dérogatoire, le locataire peut toujours demander au juge de reconnaître le bail commercial. Ce principe était déjà affirmé dans un arrêt du 25 mai 2023 (n° 21‑23.007). Le pourvoi examiné le 19 juin 2025 confirme ce principe. Légifrance

Différence avec l’action de requalification

Il est important de distinguer entre l’action de constatation (demander officiellement que le bail commercial soit reconnu) et l’action de requalification (modifier un bail initial, ou contractuellement incorrect, pour lui appliquer le statut des baux commerciaux). Dans de nombreux cas, l’action de requalification peut être soumise à prescription biennale, selon l’article L.145‑60, surtout si elle est exercée en tant qu’action par voie contentieuse. Mais dans le cas particulier du maintien dans les lieux après un bail dérogatoire, la jurisprudence récente considère que la prescription ne s’applique pas. Cela supprime un obstacle majeur pour les locataires qui auraient attendu plusieurs années avant d’agir. Légifrance+2NovLaw+2

Impacts concrets pour les locataires et les bailleurs

Ce que les locataires doivent savoir

Les locataires doivent retenir que ne pas quitter les lieux après l’expiration d’un bail dérogatoire laisse place à une transformation automatique du bail en bail commercial, même si de nombreuses années se sont écoulées. Ils peuvent demander au tribunal une constatation de ce bail commercial, sans craindre que le délai de prescription biennale ne les empêche. Toutefois, ils doivent être en mesure de démontrer les conditions du maintien dans les lieux : absence d’opposition, quittances de loyer, etc.

Ce que les bailleurs doivent anticiper

Les bailleurs ne peuvent plus se fonder sur une prescription pour refuser la requalification lorsque le locataire est resté dans les locaux après le bail dérogatoire. Ils doivent donc être vigilants à la façon dont le bail est conclu, aux actes ou omissions pendant le délai qui suivra le bail, et à la délivrance éventuelle de quittances. Si le bailleur souhaite éviter la requalification, il convient qu’il manifeste une opposition formelle, dès la fin du bail dérogatoire. Ne pas agir ou rester silencieux peut jouer en défaveur du bailleur.

Les précautions à prendre pour sécuriser la situation

Pour le locataire

Le locataire souhaitant se prémunir doit collecter tous les documents attestant du maintien dans les lieux : quittances, correspondances, preuves d’absence d’opposition du bailleur. Il peut aussi préparer une demande judiciaire de constatation. L’absence de délai de prescription permet d’agir tardivement, mais la preuve reste essentielle.

Pour le bailleur

Le bailleur, pour se protéger, devrait dès l’expiration du bail dérogatoire signifier une notification formelle pour indiquer qu’il n’accepte pas le maintien du preneur, et éventuellement faire constater l’expiration du contrat. Des stipulations contractuelles claires peuvent aider, ainsi que des actes manifestes d’opposition au maintien.

Conclusion

L’arrêt de la Cour de cassation du 19 juin 2025 confirme un principe favorable aux locataires : l’action tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial résultant du maintien dans les lieux à l’issue d’un bail dérogatoire n’est pas soumis à prescription selon l’article L.145‑5 du Code de commerce. Cette évolution jurisprudentielle renforce les droits des locataires et rappelle aux bailleurs l’importance d’être proactifs en fin de bail.

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