Les facteurs locaux de commercialité : enjeu clé du bail commercial

Dans un bail commercial, la notion de facteurs locaux de commercialité joue un rôle fondamental dans l’évaluation de la valeur locative. Dès maintenant, précisons que ce concept intervient notamment dans le cadre d’un renouvellement de bail ou d’une révision lorsque l’article L.145‑34 du Code de commerce prévoit un plafonnement des loyers, sauf en cas de « modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L.145-33 ». Dans cet article, nous allons :

  • expliciter ce que recouvrent ces facteurs locaux de commercialité ;

  • interroger leur impact concret sur la fixation ou la renégociation du loyer (avec un retour sur le cas particulier des commerces de la rue de Rivoli à Paris) ;

  • analyser la récente jurisprudence de la Cour de Cassation (arrêt du 18 septembre 2025, n° 24-13.288) en la matière.

Qu’entend-on par “facteurs locaux de commercialité” ?

Définition légale et critères essentiels

Les facteurs locaux de commercialité sont définis notamment par l’Article R.145‑6 du Code de commerce : « Les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l’intérêt que présente, pour le commerce considéré :

  • l’importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé ;

  • la facilité et l’importance des moyens de transport ;

  • l’attrait particulier ou les sujétions que peut représenter l’emplacement pour l’activité considérée ;

  • les modifications que ces éléments subissent d’une manière durable ou provisoire. »

    Autrement dit, l’emplacement, l’attractivité locale, l’achalandage, l’accessibilité et l’évolution du contexte sont les composantes essentielles.

Pourquoi ces facteurs sont-ils cruciaux pour le bail commercial ?

Lors du renouvellement d’un bail commercial, le loyer est en principe plafonné (pour les baux de moins de neuf ans ou selon modalités prévues). Toutefois, si une modification notable des facteurs locaux est constatée, cela peut ouvrir la voie à un déplafonnement du loyer, ce qui autorise le bailleur à fixer le loyer à la valeur locative « pleine », au lieu du loyer plafonné.
En d’autres termes : pour le locataire, ces facteurs constituent un argument potentiel pour négocier le loyer (à la hausse ou à la baisse selon l’évolution du contexte) ; pour le bailleur, c’est un levier pour justifier une hausse. Mais attention : tout n’est pas automatique – l’argument doit être fondé.

Modification notable : ce qu’il faut retenir

La jurisprudence exige non seulement que les facteurs locaux aient été modifiés, mais que la modification soit « notable ». On parle généralement d’un changement suffisamment important pour faire évoluer l’intérêt de l’emplacement pour l’activité concernée.
Traditionnellement, il fallait démontrer que la modification avait une incidence effective et réelle sur le commerce exploité dans les locaux. Mais comme nous allons le voir, la jurisprudence récente a quelque peu précisé ce point.

Le cas concret de la rue de Rivoli : commerçants, mobilisation et renégociation des loyers

Contexte : une artère commerciale emblématique, mais des mutations

La rue de Rivoli à Paris est une des artères majeures du commerce de détail. Une étude de la société JLL réalisée pour la mairie de Paris Centre entre juin et août 2023 note que le tronçon Rivoli / Saint-Antoine présente un taux de vacance parmi les plus faibles de Paris (environ 5,3 % en juillet 2023), ce qui en fait un secteur « particulièrement attractif et performant ».
Malgré ces chiffres favorables, les commerçants de cette rue ont subi plusieurs évolutions : transformation des mobilités (réduction de la circulation automobile au profit des mobilités douces), modifications d’achalandage touristique, concurrence du commerce en ligne etc.

Mobilisation pour négocier une baisse de loyer

Un exemple concret : un commerçant de la rue de Rivoli a obtenu une réduction de loyer en raison de la chute de fréquentation de l’artère. Selon un article publié le 23 octobre 2024, le locataire a obtenu une réduction d’environ 15 000 € sur un loyer annuel de 80 000 €, soit une baisse de ~18,75 %.
De plus, un autre article évoque la mobilisation collective des commerçants de la rue de Rivoli pour demander des réductions de loyer en raison de la fréquentation jugée insuffisante.

Analyse de ce cas à la lumière des facteurs locaux de commercialité

Dans ce cas, la chute de fréquentation (46 % de baisse entre 2018 et 2021 selon l’expert) a été considérée comme une modification défavorable des facteurs locaux de commercialité : disparition de 16 boutiques et 4 enseignes nationales sur la période, changement de clientèle, transformation de la rue en voie douce.
Ce cas illustre que lorsque l’environnement commercial se dégrade (moins de trafic, vacance accrue, loss of attractivity), un locataire peut effectivement demander une baisse de loyer. Et même si l’article traditionnel traite plutôt de l’augmentation possible du loyer du bailleur, l’argument peut être inversé pour le locataire.
Pour les commerçants de la rue de Rivoli, cet exemple est utile : il démontre que l’évolution locale des facteurs peut être un levier pour négocier le loyer. Bien entendu, chaque cas reste spécifique.

Jurisprudence récente : arrêt du 18 septembre 2025, n° 24-13.288 – ce qu’il faut retenir

Les faits et la procédure

Dans l’affaire en cause, la société locataire exploitait un local commercial de vente et exposition de luminaires. Le bailleur a demandé le renouvellement du bail en fixant un loyer « déplafonné ». La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 25 janvier 2024, avait retenu que la création d’un retail-park de plus de 100 000 m² à proximité immédiate constituait une modification notable des facteurs locaux de commercialité et de nature à avoir une incidence bénéfique sur l’activité de la locataire.
La locataire, en difficulté financière (procédure de sauvegarde), soutenait que l’incidence favorable n’était pas effective (pas de hausse de chiffre d’affaires) et que la simple potentialité ne suffisait pas.

La position de la Cour de Cassation

La Cour de Cassation rejette le pourvoi et confirme que :

« Il résulte des articles L.145-34 et R.145-6 du code de commerce que la modification notable des facteurs locaux de commercialité constitue un motif de déplafonnement du prix du bail renouvelé si elle est de nature à avoir une incidence favorable sur l’activité commerciale effectivement exercée par le locataire, indépendamment de son incidence effective et réelle sur le commerce exploité dans les locaux. » (Légifrance)
Autrement dit : il suffit que la modification soit de nature à favoriser l’activité ; il n’est plus exigé que l’augmentation de la performance (chiffre d’affaires) soit constatée pour justifier le déplafonnement.

Implications pratiques pour bailleur et locataire

  • Pour le bailleur : cette jurisprudence clarifie qu’il peut invoquer une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité et demander un loyer déplafonné sans avoir à démontrer que la locataire a effectivement tiré parti de cette modification.

  • Pour le locataire : elle rend plus difficile la contestation (au motif qu’il n’y a pas eu d’effet concret). Le locataire devra donc être vigilant lors de la signature ou renouvellement du bail et vérifier les clauses et les faits locaux.

  • Pour la négociation : chacun doit bien analyser l’environnement du local : modifications d’accès, flux, transports, urbanisme, aménagements à proximité… Et documenter ces éléments.

Comment les commerçants ou bailleurs peuvent-ils s’emparer de ces notions ?

Pour le locataire : anticiper et se prémunir

Voici quelques conseils pratiques :

  • Auditer l’environnement : recenser les aménagements récents ou à venir (nouveaux centres commerciaux, modifications de flux, mobilité douce, vacance des commerces).

  • Documenter l’ouverture d’une négociation : présence de statistiques de fréquentation, rapports urbains, expertises ; cela peut venir appuyer une demande de réduction de loyer.

  • Négocier dès la signature ou lors du renouvellement : prévoir des clauses de révision ou de renégociation en cas de forte variation des facteurs locaux de commercialité.

  • Anticiper la jurisprudence : même si l’effet concret du changement n’est pas vérifié par la jurisprudence récente, il est recommandé de surveiller l’évolution de l’environnement et d’agir avant que le bail ne soit fixé.

Pour le bailleur : valoriser la localisation et sa dynamique

  • Mettre en avant les changements d’environnement : nouveaux flux, transports, aménagements proches, projet urbain, attractivité renforcée.

  • Préparer l’argumentaire : pour justifier un loyer déplafonné, il faut démontrer la modification notable des facteurs locaux de commercialité et sa « nature » favorable.

  • Veiller à la rédaction du bail : inclure des clauses permettant la variation du loyer en fonction des facteurs locaux, prévoir une révision adéquate.

Pour les deux parties : points de vigilance

  • Il reste essentiel de recourir à une expertise immobilière pour fixer la valeur locative.

  • Le changement des facteurs doit être matériellement constaté, documenté, et non purement hypothétique.

  • Bien que la Cour de Cassation ait admis que l’effet concret n’était pas requis, cela ne dispense pas de démontrer la réalité de la modification.

  • Il convient de rester attentif aux conséquences indirectes : vacance accrue, baisse d’achalandage, substitution d’activités, etc.

Conclusion : résumé et enseignements

Les facteurs locaux de commercialité sont un instrument essentiel dans le droit des baux commerciaux : ils permettent d’apprécier la valeur locative et d’ouvrir, le cas échéant, la voie à un déplafonnement du loyer à l’occasion du renouvellement ou de la révision.
La récente décision du 18 septembre 2025 de la Cour de Cassation (n° 24-13.288) marque un tournant : la modification notable des facteurs locaux de commercialité peut justifier un loyer déplafonné même si l’incidence n’a pas été concrètement mesurée. Cela change la donne pour bailleurs et locataires.
Le cas des commerçants de la rue de Rivoli (Paris) illustre l’actualité de cette question : mobilisation et renégociation de loyers en raison de l’évolution de l’environnement commercial.
Pour toute partie intéressée (locataire ou bailleur), il est recommandé de : anticiper, documenter, intégrer dans les négociations cet aspect environnemental et juridique.

Vous recherchez un accompagnement professionnel pour la négociation d’un bail commercial ? L’agence La Parisienne du Commerce est spécialisée dans l’immobilier commercial à Paris et en Île-de-France : elle vous aide à analyser l’environnement commercial local, à monter un argumentaire négocié et à sécuriser vos engagements contractuels.

Contactez-nous dès aujourd’hui pour une étude personnalisée de votre projet immobilier : que vous soyez locataire ou bailleur, nous vous aiderons à exploiter au mieux les facteurs locaux de commercialité et à optimiser vos conditions !

Contactez nous
Précédent
Précédent

Transformer un commerce en logement : étapes clés, contraintes et opportunités

Suivant
Suivant

Exonération de plus-value sur la résidence principale : ce qui pourrait changer en 2026 et les cas d’exonération en immobilier commercial